Le portable qui sauve des vies

Le portable

Qui sauve

Des vies

Déjà expérimenté à Bobigny, un téléphone d'alerte pour les femmes en très grand danger est mis en place à Paris.

Najat Vallaud-Belkacem assiste le 13 juillet à la présentation du téléphone d'urgence mis en place à Paris pour les femmes en très grand danger.

Une femme décède tous les 2 jours et demi sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. Et si une partie des féminicides pouvait être évitée à l'aide d'une touche d'alerte actionnée en amont par les victimes ? "Il faut avoir à l'esprit qu'une femme qui subit des violences et qui ne bénéficie pas de la protection adéquate est une proie pour son agresseur", a souligné Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes à l'occasion de la journée de lancement, à Paris, du téléphone portable destiné aux femmes en très grand danger (FTGD). 

Ce Nokia C5 (Orange) comporte un numéro préenregistré relié à un centre d'alerte, ce qui permet à la victime d'être secourue en urgence à toute heure du jour et de la nuit. Cette bouée de sauvetage électronique a déjà fait ses preuves en Seine-Saint Denis où l'idée est née il y a deux ans et demi, sous l'impulsion de l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes (93), pionnier en la matière. À partir de l'analyse d'un certain nombre de cas de féminicides, l'Observatoire a conclu que si une partie des victimes avait pu se manifester en amont en appelant au secours, on aurait pu les sauver.

"C'est urgent chez moi"...

Fruit d'un partenariat entre différents acteurs (ministère de la Justice, procureur de la République, préfecture de police, région IDF, services sociaux, etc.), le dispositif est peu exigeant en termes de manipulation. La femme en situation de danger actionne le bouton d'alerte qui la relie immédiatement à la station d'écoute de Mondial Assistance où 50 conseillers dédiés à la téléassistance sont en veille 24/24 et 7/7. Le conseiller évalue le danger à partir des mots prononcés... ou imprononçables. "La personne n'a pas besoin de nous donner de grandes explications. Nous disposons de suffisamment de points de repère sur sa fiche signalétique pour décrypter le problème à partir de mots clés. Le c'est urgent chez moi est déjà très éloquent", explique Michel Camescasse, directeur général de Mondial Assistance.

S'il estime qu'il y a lieu d'intervenir, le conseiller contacte la préfecture de police où une ligne est dédiée aux FTGD fonctionne 24/24h et 7/7j. Le policier dépêchera alors la patrouille la plus proche de l'endroit où se trouve la femme. "Ce téléphone permet de rassurer la femme car elle sait qu'à tout moment elle peut bénéficier d'un secours prioritaire : le délai d'intervention sur place est environ de 10 à 12 minutes", indique Sylvie Moisson, procureur de la République au tribunal de grande instance de Bobigny.

Les conseillers ne jouent pas seulement un rôle de filtre entre l'interlocutrice et la police. Ils sont aussi à l'écoute des personnes et de leurs besoins, et les orientent le cas échéant vers des services sociaux. "Ce téléphone permet à la femme de reprendre sa vie en main et de se projeter vers l'avenir", note Michel Camescasse. Une écoute est également disponible via ce téléphone auprès du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), de l'association Halte-aide aux femmes battues ou du bureau d'aide aux victimes du tribunal de grande instance, dont les numéros sont préenregistrés. "Au-delà de l'outil technique, le dispositif offre aux victimes la possibilité d'être accompagnées d'un point de vue social et professionnel, et surtout, cela rend l'ensemble des acteurs (police, justice, services sociaux, associations...) beaucoup plus attentifs à la dangerosité des hommes violents", se satisfait Ernestine Ronai responsable de l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes.

Six mois renouvelables

Les bénéficiaires du téléphone portable FTGD sont, fort heureusement, peu nombreuses. À Bobigny, 85 femmes l'ont obtenu en un peu plus de deux ans. En 2011, les forces de l'ordre sont intervenues 63 fois pour protéger des femmes d'un risque de violence imminent. Le repérage des personnes en très grand danger ne découle pas forcément d'une plainte de la victime. "Ces femmes nous sont parfois signalées par des associations ou des hôpitaux, ou encore par le juge chargé du divorce (juge aux affaires familiales) ou le juge des enfants", explique Sylvie Moisson. Le téléphone d'alerte peut aussi se justifier lorsque le conjoint violent enfreint l'interdiction d'entrer en contact avec la victime prévue par le contrôle judiciaire ou l'ordonnance de protection. "Les femmes en très grand danger sont souvent celles qui reçoivent des menaces de leur conjoint incarcéré pour des violences conjugales", constate Michel Camescasse.

En fait, la notion de "très grand danger" n'est pas définie par la loi. C'est le parquet qui décide, au cas par cas, de l'attribution du dispositif d'alerte au terme d'une évaluation de la situation par le CIDFF. À Bobigny, le signalement est redirigé vers l'association SOS victimes qui examine la vie du couple et dresse un état des lieux de la situation. La femme bénéficiaire du téléphone est alors convoquée par le procureur qui lui remet son portable en présence du CIDFF. Techniquement, le risque de mauvais fonctionnement est faible. Une assistance technique et des tests périodiques sont effectués périodiquement avec Mondial Assistance.

Le téléphone FTGD est accordé pour une durée de 6 mois renouvelable une fois. "L'objectif n'est pas de mettre les femmes en grand danger en tutelle de téléphone portable pendant des années. Ce délai correspond au temps nécessaire pour que tout le réseau partenarial se mette en place pour lui trouver un nouveau logement, une nouvelle école pour ses enfants, et pour la resocialiser et lui donner les moyens de reprendre son travail. Certaines femmes vivent tellement dans la terreur qu'elles n'osent même plus sortir de chez elles", souligne Sylvie Moisson. Ce téléphone FTGD n'est donc pas une fin en soi. C'est un moyen de les rassurer et de les conduire vers une vie de femme libre, déliée des chaînes de la violence et de la peur engendrée par la violence."

Politique pénale offensive

Les violences au sein du couple représentent à Paris 18,3 % des procédures pour violences enregistrées par les services de police. "Nous avons une politique pénale particulièrement offensive à l'égard des violences au sein du couple", a souligné le procureur de la République de Paris François Molins. En 2011, le parquet a traité plus de 1 900 procédures relatives à des violences au sein du couple. Près de 700 personnes ont été déferrées au parquet et jugées par le tribunal correctionnel. En la matière, la réponse pénale est rapide et systématique : elle va du rappel à la loi devant le délégué du procureur (violences légères) au déferrement au parquet, si les faits sont graves ou si l'auteur présumé a déjà été condamné pour des faits identiques. En cas de risque pour la victime, l'éviction provisoire du conjoint violent et/ou l'interdiction d'entrer en contact avec la victime est, elle aussi, systématique.

L'expérimentation du FTGD pourrait s'étendre à toute la France, à l'image de l'Espagne où 9 000 femmes sont munies d'un téléphone d'alerte. Mais cet outil ne suffit pas à évincer le danger. "Une femme en très grand danger ne peut être reléguée à une vie nomade", a défendu Najat Vallaud-Belkacem. À cet égard, le président du conseil régional d'IDF Jean-Paul Huchon a fait part du soutien de la région à des structures d'hébergement et de logement des femmes victimes de violences en très grand danger. Il a aussi annoncé son projet d'attribuer une partie du contingent de logements sociaux aux femmes victimes de violences familiales.

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