Mediator
Le rapport de l’Igas sur le Mediator démonte les rouages de la stratégie du laboratoire Servier qui pendant 35 ans a voulu faire oublier ce qu’était vraiment ce médicament, au détriment des risques encourus par les patients.
L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a rendu samedi 15
janvier au ministère de la Santé son rapport sur l’affaire du Mediator.
Les conclusions pointent les manquements du système de
pharmacovigilance, la tolérance inexplicable de l’administration à
l’égard d’un médicament pourtant très décrié pour son manque
d’efficacité, son mauvais usage et ses risques. Mais le premier volet de
l’enquête pointe les manipulations du laboratoire Servier qui depuis
les années 70 a tenté de dissimiler la vraie nature chimique de sa
molécule, le benfluorex.
Pour faire passer un anorexigène puissant en traitement adjuvant
(appoint d’un traitement principal) du diabète de type 2 et des
problèmes de glycémie, la firme fondée par Jacques Servier n’a pas
ménagé ses efforts, relèvent les trois enquêteurs de l’Igas, le Dr
Anne-Carole Bensadon, Etienne Marie et le Dr Aquilino Morelle.
Un dérivé de l’amphétamine
Le rapport
rappelle dans quelles conditions est né le benfluorex, la molécule
commercialisée en 1976 par Servier sous le nom de Mediator. Dans les
années 50 des chercheurs tentent d’obtenir une molécule dérivée de
l’amphétamine qui ait ses propriétés coupe-faim sans ses effets
secondaires graves (accélération du rythme cardiaque, dépendance,
excitation, psychose). Au début des années 60 est créée la
norfenfluramine, molécule d’amphétamine légèrement modifiée. A la même
période un groupe de recherches des laboratoires Servier teste de
nombreuses molécules dérivées de l’amphétamine et en distinguent deux ;
la fenfluramine et le benfluorex. La première est commercialisée comme
anorexigène en 1963 (Pondéral).
Le rapport cite une étude de
1974 financée par Servier, qui conclut aux effets anorexigènes puissants
du benfluorex. Menée sur des rats, l’expérience a été stoppée au bout
de 35 jours tant les rongeurs avaient maigri et étaient affaiblis.
Le laboratoire cherche pourtant dès cette époque à faire oublier la
véritable nature de la molécule. Son nom même, attribué par l’OMS en
1971, indique qu’il s’agit d’un anorexigène : c’est ce qu’indique le
suffixe «-orex» ». Servier tente de le faire supprimer, révèle le
rapport de l’Igas. «A la lumière de nombreux travaux d’expertises
cliniques, l’activité anorexiante alors revendiquée s’est avérée en
réalité très faible et tout à fait accessoire par rapport aux propriétés
métaboliques de ce produit» explique le fabricant dans un courrier
de 1973 aux services de l’OMS. Servier suggère deux autres noms :
benzaflumine et benflurate. Il n’obtient pas gain de cause.
Jusqu’à sa suspension en novembre 2009, ce sont les propriétés sur le
métabolisme des glucides et des lipides du benfluorex qui sont mises en
avant par le laboratoire. Pourtant, c’est bien la norfenfluramine qui
agit dans le cas du Mediator, soulignent les rapporteurs de l’Igas.
C'est un métabolite (produit par l’organisme) commun avec la
fenfluramine (Pondéral, Isoméride), jugée dangereuse en 1995. Le rôle de
la norfenfluramine est minimisé par le laboratoire, affirme le rapport,
qui dissimule même des informations à l’Afssaps en 1999 sur ce point
précis, souligne le rapport.
Le Mediator est immédiatement
transformé dans l’organisme en trois métabolites, dont la
norfenfluramine. Les doses préconisées pour le Mediator aboutissent à
une concentration de norfenfluramine identique à celle du Pondéral et de
l’Isoméride. «Pour le dire autrement :
pendant 33 ans (1976-2009), tous les patients traités par le Mediator
ont en réalité absorbé de la norfenfluramine à des doses efficaces» résument les rapporteurs.
C’est la stratégie de communication du laboratoire Servier qui permet
au Mediator d’éviter un retrait du marché qui aurait dû intervenir en
1999, analyse les trois enquêteurs. Pressions exercées par la firme,
« enlisement », « inertie », « réponses inadaptées » du côté des
autorités administratives chargées du médicament… La liste est longue
des occasions ratées de suspendre le Mediator, des obstacles franchis
comme par miracle par le Mediator depuis le milieu des années 90, depuis
que la dangerosité de la norfenfluramine est bien établie.
C’est là le second volet du rapport, qui aboutira très vraisemblablement
à une réforme des mécanismes de pharmacovigilance et de l’Afssaps.
Cette affaire doit contraindre l’agence de sécurité sanitaire à revoir
ses procédures de déclarations de conflits d’intérêt tant il est évident
que nombre d’experts impliqués dans le dossier du Médiator étaient liés
à Servier (lire aussi le dossier Morts sur ordonnance du Nouvel Observateur). Quant aux preuves des pressions exercées sur les experts par la firme ou des proches, elles seront transmises à la justice.
D’après le quotidien Le Figaro de ce jour, Jacques Servier est cité à comparaître le 11 février devant le tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine).
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Cécile Dumas
Sciences et Avenir.fr