Méfiance !

Boissons énergisantes

Neuf millions de Français de plus de 14 ans seraient consommateurs de boissons énergisantes. Une habitude qui n'est pas sans conséquences sur la santé, rappelle l'Anses. Dans un rapport rendu public hier, l'agence sanitaire réaffirme qu'il y a danger. Notamment pour les enfants, les adolescents et les femmes enceintes.

Elles sont commercialisées sous les noms de Red Bull, Monster, Dark Dog, Burn, etc. La consommation des boissons dites « énergisantes » ne cesse de s'accroître en France. Les ventes, en grande surface, ont fait un bond de 30 % entre 2009 et 2011, et de 13 %, depuis un an, pour atteindre aujourd'hui les 40 millions de litres ingurgités chaque année. 

Deux expressos par canette 

Le rapport rendu hier par l'Anses est pourtant formel : ces boissons sont à éviter, voire à bannir, pour certaines catégories de la population. Ce, en raison des ingrédients qu'elles contiennent : taurine, ginseng et surtout caféine, l'équivalent de deux expressos par canette standard de 250 ml. Quand on sait que près de deux millions de consommateurs reconnaissent en boire plus d'un demi-litre au cours d'une même journée... En juin 2012, l'Anses a invité les professionnels de santé à lui faire remonter un maximum d'effets indésirables suspectés. Bilan : 257 signalements, dont 212 retenus pour analyse. À l'arrivée, la liste des symptômes observés à de quoi faire pâlir : cela va des douleurs thoraciques, tachycardie, troubles parfois graves du rythme cardiaque... aux manifestations comportementales ou neurologiques (anxiété, hallucinations, épilepsie...). Le rôle joué dans ces troubles par les boissons caféinées a été jugé vraisemblable dans 12 % des cas signalés. Édifiant ! 

Les jeunes et les sportifs en première ligne 

Premier public fragile : les enfants et les adolescents. Alors qu'un collégien sur cinq en France reconnaît consommer des boissons énergisantes au moins une fois par mois, l'agence pointe du doigt les dangers liés à un excès d'absorption de caféine : troubles du sommeil, somnolence, et addiction à d'autres drogues. L'Anses déconseille également ces boissons aux femmes enceintes (risque de retard de croissance du foetus), à celles qui allaitent (passage de la caféine dans le lait), ainsi qu'aux personnes affectées par certains troubles cardio-vasculaires, psychiatriques ou neurologiques (épilepsie), souffrant d'une insuffisance rénale ou d'une maladie grave du foie. Plus largement, le rapport attire l'attention sur le risque d'une consommation associée à la prise d'alcool ou lors d'un exercice physique intense. Pas anodin, quand on sait que les jeunes et les sportifs sont les premiers consommateurs de ces produits, interdits en France jusqu'en 2008. Et que 1,4 million d'« adeptes » mélangent, au moins de temps en temps, boisson énergisante et alcool. 

Encadrer leur promotion 

En résumé, l'Anses conseille aux populations sensibles d'éviter les boissons énergisantes et aux autres... de ne les consommer qu'avec modération ! Les accidents dramatiques dont on entend parler, ici ou là, ne sont pas une légende. L'agence sanitaire cite notamment le cas d'une jeune fille, âgée de 16 ans, frappée par une crise cardiaque en discothèque, après avoir associé élixir énergisant et alcool. Rappelant que les BDE - terme commercial pour désigner ces boissons énergisantes - ne sont régies par aucune réglementation spécifique, l'Anses appelle à encadrer leur promotion, lors des soirées festives et des grands événements sportifs au cours desquels une grande publicité leur est faite. Pas étonnant, ce marché pesant désormais 143,3 millions d'euros dans l'Hexagone, en hausse de 6,2 %, selon Nielsen.

Au Québec, le sport a permis de durcir la législation

Au Québec, où les boissons énergisantes sont apparues il y a bien longtemps, la législation est assez contraignante pour les fabricants. Les conséquences d'une campagne menée par l'Association des médecins du sport.

Le 25 novembre 2010, le conseil d'administration de l'Association québécoise de médecins du sport (AQMS) émettait des recommandations concernant la consommation de boissons énergisantes associée à la pratique du sport. Il demandait, notamment, qu'on arrête d'associer les boissons énergisantes au sport, aucun effet bénéfique n'ayant été constaté sur les performances. Dans son rapport, l'AQMS notait que ces boissons pouvaient contenir de 50 à 500 mg de caféine. Soit l'équivalent, pour les plus fortes, de quatre tasses de café. Une dose bien plus forte que la consommation quotidienne maximale conseillée, qui est de 85 mg pour un enfant de 10 à 12 ans et de 400 mg pour un adulte. L'AQSM avait rappelé que la caféine, si elle n'est pas considérée comme un produit dopant, « est inscrite dans le programme de surveillance de l'Agence mondiale antidopage ». Autre problème : cette substance ayant des vertus diurétiques, elle accélère la déshydratation. 

Taurine et caféine agissent sur le coeur 

La taurine, présente dans la plupart des canettes, est un dérivé d'acide aminé. Ce neurotransmetteur est produit naturellement par le corps, lors d'efforts importants, pour réduire l'effet des toxines. À l'heure actuelle, on ne connaît pas ses effets sur le long terme. Mais on la soupçonne de troubler les fonctions cardiaques. Associée à la caféine - ce qui est fréquent dans les canettes énergétiques - elle pourrait déclencher des incidents cardio-vasculaires : augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, arythmie, palpitations, voire infarctus. Sa consommation est vivement déconseillée aux enfants par l'association de médecins du sport. Sur le terrain, les boissons énergisantes pourraient nuire à la coordination du sportif en augmentant l'anxiété et les tremblements. Plus agressif, il aurait davantage de risques de se blesser. 

Pas plus de 180 mg par canette

Fort de ces constats, l'AQMS, qui déconseille la prise de boissons énergétiques avant ou pendant la pratique d'un sport, a demandé que ces produits soient interdits à la vente aux moins de 14 ans. Elle avait aussi recommandé l'inscription du taux de caféine sur les canettes. Sur ce dernier point, elle a obtenu gain de cause. Le 15 décembre 2012, les autorités canadiennes sont même allées plus loin en limitant la teneur légale en caféine à 180 mg par canette, soit l'équivalent d'une tasse à café. Apparaît aussi, désormais, une mise en garde incitant à ne pas consommer le produit avec de l'alcool. Au Québec, à la suite de ces débats, beaucoup de municipalités ont décidé d'interdire la vente de ces boissons dans leurs établissements publics. Elles ont été suivies dans cette démarche par plusieurs clubs de sport.

• Didier Déniel

L'idée d'une taxe de nouveau sur la table

Après une tentative avortée l'an dernier (son amendement avait été censuré par le Conseil constitutionnel pour absence de « critère objectif «), le député socialiste Gérard Bapt, rapporteur du budget de la Sécurité sociale à l'Assemblée, revient à la charge pour imposer une taxe de 50 centimes d'euros par litre sur les boissons énergisantes, taxées pour l'heure comme de simples sodas. « Il y a un an, on connaissait surtout les risques des boissons énergisantes associées à l'alcool ou les stupéfiants. L'Anses montre aujourd'hui les risques d'une consommation de ces boissons seules », fait valoir Gérard Bapt, cardiologue de formation. Sa proposition est accueillie avec scepticisme par le ministre du Budget. Bernard Cazeneuve a indiqué, hier, qu'il n'est « pas favorable à ce qu'on ajoute des taxes aux taxes », et affirmé qu'il y a « mille manières de contrôler » la consommation de ce type de produits.

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