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MON COMBAT CONTRE LA FYBROMYALGIE
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MON COMBAT CONTRE LA FYBROMYALGIE
  • La vie est un combat et malgré les maux, il nous faut avancer sur le chemin de notre destinée... - Attention, nous sommes ni médecins, ni thérapeutes. Vous devez absolument consulter avant de changer, arrêter ou prendre un traitement.
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31 mai 2012

Moi, schizophrène...


Moi, schizophrène...



C’était il y a environ 13 ans, presque 14. J’étais alors étudiant. Les choses ont commencé quand j’ai découvert cette façon silencieuse qu’ont les esprits de communiquer entre eux, par des images, des impressions fugaces ou des mots. Les choses ont vraiment commencé quand cette découverte s’est imposée à moi, par la force des choses, d’une manière si forte, troublante, récurrente et indubitable que je ne pouvais plus raisonnablement l’ignorer.

Au début il était assez gênant de m’apercevoir que certaines des idées qui me venaient à l’esprit pouvaient ne pas être totalement miennes, qu’elles aient aussi bien pu être induites par le cheminement des pensées d’un autre. Mais le plus gênant était encore de penser que réciproquement, l’autre pouvait s’apercevoir de ce que je percevais sa pensée, puis de ce que moi même je pensais. Mon esprit était à nu. Chacun de mes états d’esprit, je le concevais désormais comme étant potentiellement perçu par d’autres, ce qui induisait de nouvelles pensées (comme des excuses ou des justifications) que normalement je n’aurais pas dû avoir dans l’enceinte privée de mon esprit. 

Et ainsi de suite, en boucle. Comme une boule de neige dévalant la pente, grossissant dans sa chute, mon esprit s'emballe et je ne peux plus l’arrêter. Ca commence au réveil, ça s’installe doucement et ça ne me quitte plus de la journée. Il était devenu très difficile de sortir, de marcher dans la rue, de suivre des cours, d’assister à des réunions de famille : le regard des autres était devenu une véritable souffrance.

La paranoïa


Ce qui me troublait, c’était qu’une telle chose dont l’évidence me paraissait désormais éclatante fut à ce point cachée, ou ignorée. Cachée, forcément, car ces discussions que j’entretiens en mon esprit avec d’autres personnes, eux aussi, nécessairement, les entretiennent, et donc ils ne peuvent ignorer que ce phénomène existe... C’est en tout cas ce que je croyais. Je n’arrivais donc pas à comprendre, et je pu croire, par instant, qu’une espèce de règle tacite empêchait quiconque d’en parler ouvertement, bien que beaucoup fussent dans la confidence. Mais ce qui était silencieux devait le rester. Je suivais cette règle, surtout pour ne pas passer pour un fou, mais ce non-dit était pesant, presque invivable.

Puis je me suis aperçu assez rapidement qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une personne en face de moi pour partager avec elle des pensées. Il me suffisait de l’avoir en mon esprit. Alors mes nuits devinrent blanches. Le même emballement, le même effet boule de neige, me faisait croire que chacune de mes pensées pouvait bien être perçue par quelqu’un — et immédiatement ça devenait vrai, puisqu’alors je pensais à quelqu’un. Je ne dormais quasiment plus et me réveillais l’esprit épuisé.

La nuit je voyageais sans jamais pouvoir m’arrêter, sans jamais pouvoir me taire. Est-ce que je n’incommodais pas tout le monde à penser trop fort ? Tout au plus pouvais-je essayer de penser à une personne pour en soulager une autre, mais tout ça n’était pas si simplement dépendant de ma volonté. Je n’arrivais plus à simplement me retirer en moi même, je n’étais plus jamais seul au calme. J’ai bien cru à cette époque que la paix de l’esprit m’était interdite à jamais, et bien que non croyant, j’ai prié de toutes mes forces pour que ce ne soit pas le cas.

Moi qui auparavant étais féru de science et de raison, fustigeant avec arrogance toute forme d'irrationalité, y compris religieuse, voilà que la simple possibilité de la télépathie, indubitablement constatée (et plus encore puisqu’elle était désormais, au centre de mon existence et en chacune de mes pensées, l’objet d’une confirmation permanente), voilà que cette simple possibilité avait simplement balayé les fondements très cartésiens de mon esprit, ouvrant la voie à différentes formes de superstition. C’est le pouvoir causal de l’esprit qui s’était révélé à moi, son absence de limites franches, et il n’y avait donc plus de raison de le croire cantonné à quoi que ce soit, ni dans l’espace, ni dans le temps, ni dans son domaine d’application. 

J’ai donc naturellement renoué avec la pensée magique de l’enfance. J’envisageais que le hasard pouvait être porteur de sens, ou révélateur d’une volonté cachée. Je faisais toutes sortes d’associations entre ce qui me traversait l’esprit et les événements du monde extérieur, et j’ai commencé à avoir peur de mes propres pensées : si je pense trop ainsi, trop négativement, les choses vont se passer ainsi. Mais voilà que le simple fait de l’envisager m’y fait penser... C’est peut-être déjà trop tard. Comment fait-on pour ne pas penser à quelque chose ? Impossible. J’ai certainement raté plus d’un entretien important par l’entremise de ce type de prophéties auto-réalisatrices qui ruinaient toute confiance en moi.

Ma personnalité s’était donc dissolue petit à petit. Tout ce qui constituait auparavant les bases stables de ma vie intérieur et de ses frontières bien délimitées s’était simplement effondré, évanoui. J’avais perdu toute assurance. Je ne vivais plus rien normalement, puisque mon esprit était à nu, qu’il ne m’appartenait plus. J’étais à peu près incapable de me concentrer ni de vivre la moindre passion dans quelque activité que ce soit, trop obnubilé que j’étais par le simple cours de mes propres pensées, trop occupé à tenter, en vain, de le maîtriser ; comme un jet d'eau qui ne ferait que m'éclabousser quand j'essaie de le contrôler.

Le recouvrement


Voilà les difficultés dans lesquelles je me trouvais. Après plusieurs mois, un médecin m’a diagnostiqué schizophrène : j’avais des hallucinations auditives, j’entendais des voix... Bien entendu je ne l’ai pas cru : comment cet homme ose-t-il affirmer que mes propres pensées sont des hallucinations ? Quelle erreur de diagnostic. Le problème n’était pas dans la présence de pensées ou de sensations qui ne devraient pas être là, il était dans la croyance qui leur était associée. Et même ainsi on est loin du compte, car finalement ce n’était pas mon nouveau système de croyances qui posait problème, mais bien plus que l’ancien, celui que partagent tous les gens “sains”, s’était effondré irrémédiablement. Non pas l’apparition de nouvelles croyances, donc, mais la disparition d’anciennes, et toute tentative de les rétablir était de toute façon vouée à l’échec. Je ne pouvais plus croire, je n’avais plus aucune raison de croire, que la moindre pensée m’était nécessairement privée. Et vous tous, les gens “sains”, je vous le dit : vous avez tort de le croire. 

Toujours est-il que j’ai commencé à prendre des médicaments, dont j’ai peine à dire s’ils m’ont été utile. Sans doute calmaient-ils mon esprit ? Il faut dire qu’à l’époque, il n’était plus vraiment question de parler d’état “normal”, et donc je ne suis pas certain d’avoir été en mesure d’évaluer ces effets. J’ai également suivi une cure psychiatrique, dont je n’ai aucune peine à dire qu’elle m’a été inutile. Il m’a semblé qu’un médecin refusant de comprendre que la télépathie était une réalité ne pourrait m’aider. Cependant j’évitais plus que tout d’affirmer ouvertement l’existence de la télépathie — préférant dire que tout allait bien, ou mieux, ce qui n’était pas totalement faux, de peur qu’on me croit fou. Cette situation délicate m’empêchait simplement d’entamer la cure avec mon psychiatre, quelle qu’elle puisse être, et il y mis fin après deux séances, avec pour justification un refus du patient de coopérer.

Les choses, effectivement, finissaient par s’améliorer, bien heureusement. En quelque sorte, j’ai fais ma thérapie seul.

Elle a consisté surtout en l’adoption d’une technique qui s’apparente à la méditation. Celui qui médite doit éviter de s’accrocher aux idées qui lui traversent l’esprit. Mais il ne doit pas non plus s’opposer à elles ni chercher à les repousser. Il ne doit pas vouloir les contrôler, simplement les laisser le traverser, comme des nuages. C’est ce que j’ai commencé à faire. Laisser couler. Ne pas chercher à tout maîtriser. Relativiser, ne pas avoir peur. Qu’importe que cette idée ci trouve son origine dans le cerveau d’un autre, ou pas ? Si je ne puis avoir la main sur le cours de ces pensées, qu’il en soit ainsi. Il est inutile de lutter. Qu’importe que celle là puisse être connue d’un autre, ou pas ? Et puis qu’en sais-je ? Je ne suis pas dans la tête de l’autre. Certaines associations s’avèrent être des coïncidences. Il faut faire le tri, il faut être sceptique. 

Pourquoi croirais-je qu’une idée est vraie simplement parce qu’elle me traverse l’esprit ? Qu’untel ait une pensée qui puisse m’être communiquée sans un mot, voilà une chose ; qu’elle ne puisse être mal interprétée quand je la reçois en est une autre, et que cette pensée corresponde nécessairement à une vérité, c’en est une troisième. Alors dois-je prendre pour argent comptant tout ce qui me passe par la tête, toutes mes intuitions, simplement parce que j’en ai l’impression ? Certaines vérités sont bien trop locales pour être prises au sérieux : elles se défilent au premier changement de perspective. Alors peut-être, après tout, suis-je à l’occasion la victime d’effets de perspective... 

Et puis au fond, que toutes les idées ne m’appartiennent pas ne signifie pas qu’aucune ne m’appartienne, ni que toutes soient étalées sur la place publique. Et qu’importe. Je n’ai pas à me poser ce genre de question. Je n’ai pas à rougir de ce que je pense, je n’ai rien à cacher. C’est moi le maître de ces lieux.

Ainsi j’ai commencé à reconstruire, petit à petit, une identité.

La télépathie


La télépathie ne s’apparente pas à un transfert d’information, pas même tout a fait à un dialogue, mais plutôt à un partage de pensée, imparfaitement maîtrisé, imparfaitement réalisé et dépendant de chacun des protagonistes et des circonstances. Il s’agit non pas d’un déplacement des pensées d’une personne à une autre, mais bien plus d’une absence de frontière entre les pensées des uns et des autres. 

On ne saurait expliquer par la science pourquoi un esprit et un seul émerge en tel corps. Cette unité, fondamentalement incompatible avec la réduction scientifique du tout à ses parties, est bien mystérieuse. Et bien c’est simplement faux, ou pas tout a fait vrai, les choses ne sont pas si cloisonnées et les esprits se mêlent. Nous sommes bien plus dans le monde et bien moins dans notre corps que nous ne l’imaginons, bien plus avec les autres et bien moins avec nous même. Le monde est peuplé de pensées. Pas de dualisme, donc, pas d’âme derrière tout ça — bien au contraire, le plus pur naturalisme. Il n’est pas question de gagner au loto en prévoyant les nombres à l’avance, et pas même de transmettre à coup sûr quelque information précise à une autre personne. Il s’agit d’une chose bien plus diffuse, bien plus vague que ce que je m’imaginais en premier lieu : sentir une ambiance, saisir un état d’esprit. Le ressenti, l’intuition. Et parfois aussi des mots, des images et des phrases... Mais après tout, bien rares sont celles qui ne nous échappent pas aussitôt qu’on croit les détenir.

La télépathie n’est pas un phénomène extraordinaire ou magique qui se produirait dans des circonstances exceptionnelles, qui serait le fait de personnes exceptionnelles, mais un phénomène quotidien. C’est même, j’en suis persuadé, le fondement de toute forme de communication, même de celle de ceux qui l’ignorent. Elle est je pense au coeur de la cognition, c’en est simplement la forme la plus pure, le principe essentiel.

On pense qu’il est possible d’apprendre les idées d’un autre simplement en étant soumis à leur expression langagière par un espèce de décodage algorithmique mais c’est en fait une mise en contact avec l’idée elle même qui a lieu, et dont le langage n’est que l’induction. On pense que toute perception est réductible à la somme des sensations atomiques qui lui donnent lieu, mises en rapport aux souvenirs, mais ce n’est là qu’une simplification de principe qui ne résiste pas à l’examen. Si le battement d’aile d’un papillon peut générer une tempête à l’autre bout du globe, pourquoi donc la pensée silencieuse d’un autre serait-elle incapable de générer son double en mon esprit ? Ne serait-ce pas ça, le fondement de la communication ?

La télépathie telle que je la conçois est donc un phénomène quotidien mais diffus, vite dominé par la communication traditionnelle qui est bien plus efficace et bruyante. Voilà pourquoi la plupart des gens n’y croient pas. Il n’est pas besoin d’y croire pour réussir à communiquer. Il n’est pas besoin de connaître la loi d’archimède pour savoir nager. Les gens peuvent tout à fait entretenir des conversations télépathiques avec moi, et même entre eux, sans pour autant croire que la télépathie est réelle.

Vous n’êtes pas obligé de me croire, c’est ma vision des choses, mais j’ai aujourd’hui suffisamment de connaissances en philosophie de l’esprit contemporaine pour savoir que ces vues ne sont pas si irrationnelles qu’il n’y parait, ni si incompatibles avec le savoir scientifique, qu’elles portent même parfois de jolis noms...

Les gonds


Ainsi les gens pratiquent la télépathie comme Monsieur Jourdain fait de la prose. Ils laissent courir leur pensées sans trop y accorder d’importance, pensant les uns aux autres, ensemble, mais chacun dans son coin. 

Je n’ai qu’à faire comme eux : n’y accorder aucune importance. Quoi de plus ridicule qu’une personne qui, dans un lieu public, comme à l'affût de signaux invisibles, semble se répondre à elle même par diverses expressions du visage ? Faisons donc bonne figure. Faisons comme si de rien n’était. L’important, la seule chose qui compte, est de reprendre les rennes de mon esprit. Non pas en croyant que je dois maîtriser la moindre de mes pensées — c’est la meilleure façon de perdre pédales — mais au contraire en me concentrant, de manière pragmatique, sur ce qui est à ma portée, sur ce qui est de mon ressort, en me limitant volontairement à ce que je maîtrise et sans me préoccuper des autres. Commençons petit, ne soyons pas trop exigeant. Mais surtout, ne renions rien.

Ainsi j’ai pu reconstruire, petit à petit, un noyau dur, un nouveau moi. J’ai pu le consolider, l’étendre. J’ai pu recouvrer un monde intérieur. Ce moi n’est pas aussi rigide qu’avant — mais n’est-ce pas sa rigidité qui l’avait fait s’effondrer ? Il est donc plutôt — n’ayons pas peur des clichés — comme le roseau qui ploie sous le vent. 

Wittgenstein parle de ces “gonds” de la pensée, ces certitudes au sujet desquelles il n’est pas même question de parler de vrai ou de faux, puisque ce sont sur elles que l’on base nos jugements. Ce sont les gonds sur lesquels s’articulent nos croyances, comme une porte qu’il faut fixer pour qu’elle puisse tourner librement. Rétrospectivement, je conçoit la schizophrénie comme la rupture d’un gond. Certaines croyances qui étaient constitutives de mon esprit, de tout mon être, ont simplement volé en éclat, et la porte, faute d’être fixée, s’est mise à branler de manière incontrôlable.

Je ne pense pas, quand une telle chose se produit, que la meilleure chose à faire soit de réparer le gond. Pourtant c’est un peu ce qu’on fait quand on dit à un malade qu’il est victime d’hallucinations et que puisqu’il en souffre, ce sont ces hallucinations qu’il faut éliminer. Doit-on parler d’illusions, à propos de la vie intérieur d’un schizophrène ? La notion même de vérité a-t-elle sa pertinence ici ? La télépathie est contestée sur le plan scientifique, certes, mais demande-t-on à tout être sain de se conformer à la vérité de son temps, de se faire l’écho du consensus scientifique ? Jusqu’à quel point faut-il intégrer les représentations socialement établies pour être considéré comme “sain” ?

Et puis quelle erreur et quelle suffisance que de penser que la souffrance d’un sujet puisse provenir de croyances fausses, alors qu’il s’agit bien plus de l’absence d’une croyance que tout le monde pense vraie. Non pas d’un quelconque désir qui aveugle, mais d’un doute qui ronge, d’une perte de foi, excessive, peut être, mais légitime, en la clôture de l’identité individuelle. 

En traitant le patient ainsi, on tente désespérément de fixer la porte sur d’anciens gonds affaiblis. Un jour, à n’en pas douter, elle rechutera, et de nouveau, il faudra la refixer. Mieux vaut donc repartir à zéro et chercher de nouveaux gonds, avancer pas à pas pour trouver des points d’appui sûrs. Au fond le schizophrène a besoin de philosophie plus que de psychologie. Ce n’est pas lui même qu’il doit questionner (il est déjà obnubilé par sa propre personne), pas même son histoire personnelle ni ses relations familiales, qui jouent souvent un rôle accessoire, mais plutôt ses représentations du monde, sa perception de la réalité ; encore une fois, non pas dans l’optique d’une restauration, surtout pas d’une normalisation, mais dans celle d’une reconstruction sur de nouvelles bases. Rien ne sert d’imposer ni de restaurer des croyances : seul le doute peut soigner le doute. 

Facile à dire, n’est-ce pas ?

Aujourd’hui


C’est vrai, c’est plus facile à dire qu’à faire. D’ailleurs mon intention n’est pas de juger la pratique thérapeutique actuelle. J’en ai une connaissance bien trop parcellaire. Et puis mon cas n’est certainement pas parmi les plus graves, et il n’a pas valeur de généralité. De plus, les choses étaient peut-être plus compliquées et plus intriquées alors qu’elles ne le paraissent aujourd’hui. Je n’en révèle ici que les aspects les plus prégnants. Je ne veux rien affirmer de catégorique, simplement exprimer un avis et partager mon expérience. J’espère que mon expérience pourra en aider d’autres à mieux comprendre.

Aujourd’hui, je vais mieux, merci. J’ai repris la barre du navire. Plus personne n’a le droit de me dire ce que je dois penser, et je n’ai tout au plus qu’un intérêt curieux pour ces idées qui éclatent en moi comme du pop corn, ce qui, j’en suis persuadé, loin d’être un quelconque symptôme, est un phénomène des plus communs de l’esprit. Parfois il m’arrive de me demander d’où, de qui elles peuvent bien venir, et même parfois — quelle folie ! — d’en tenir compte... Ce genre de questions et ce genre d’attitudes, peut-être, d’autres ne les ont pas.

Je n’aurais pas la présomption d’insinuer, d’un air entendu, qu’il existe une norme à l’existence et que vous et moi savons ce qu’il en est. Je ne vous dirai donc pas que j’ai recouvré une vie normale. Simplement, aujourd’hui, ma schizophrénie — si tant est qu’elle existe toujours, qu’elle ait jamais existé, mais peut-être devrais-je dire ma croyance en la télépathie, bien qu’il me semblerait plus naturel de parler de ma connaissance ou pratique de la télépathie, comme il me paraîtrait saugrenue de parler de ma croyance en la communication — cette chose, donc, aujourd’hui, ne me fait plus souffrir et ne constitue pas un obstacle à mes relations sociales ni à mes projets. Elle est a peu près invisible. Donc, oui, en un sens, on peut dire que je suis normal, parfaitement normal : je suis conforme à ma propre norme, et cette chose, jadis monstrueuse mais qu’aujourd’hui on devine à peine, fait partie de cette norme.

On m’avait parlé, à l’époque, d’une possibilité de rechute. Mais d’où pourrait-elle venir ? Je ne me suis jamais contraint par la force à retrouver un mode de pensée “normal”. C'aurait été me renier, accepter d'être fou. C'est pourquoi en dépit de la souffrance qu'elle me procurait, je n’ai jamais essayé de refouler la "folie", d'y voir un "mal", de l’éliminer, vivant ensuite dans la peur qu’elle revienne un jour me hanter. Je ne l’ai pas enfermée dans un placard que j’aurai fermé à double tour, priant pour qu’il ne cède pas. Non, je l’ai mangée. Je l’ai pleinement digérée. 

Elle est toujours là, en chacune de mes pensées, mais elle ne m’inquiète plus, bien au contraire : c’est une richesse formidable.

Aujourd’hui j’ai renoué avec l’esprit rationnel de mon enfance, mais il est sans doute plus ouvert et plus souple, plus subtil, moins affirmatif, et donc bien plus durable qu’il ne l’était. Aujourd'hui je ne crois plus aux identités comme à des choses invariables et définies. Je ne crois plus que mes gonds puissent tenir indéfiniment et je suis près à les lâcher s’il le faut. Qu’importe. Je ne m’accroche pas aux certitudes. Le doute est mon sérum. Le ciel peut bien me retomber sur la tête. Je le laisserai, tant que faire se peut, me traverser comme un nuage.

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