« Tout n’est pas Lyme et Lyme se traite facilement »
Le docteur Pierre Kieffer organise régulièrement des réunions d’information à destination de la population, comme ici à Lutterbach, le 12 avril.
Chef du service de médecine interne maladies systémiques et auto-immunes et soins continus, et directeur médical du pôle de médecine interne néphrologie et endocrinologie, le docteur Pierre Kieffer forme les médecins et informe les patients sur la maladie de Lyme depuis 25 ans. Il s’insurge contre la psychose qui entoure cette infection.
Docteur Kieffer, connaît-on aujourd’hui l’importance de la Borréliose de Lyme, communément appelée maladie de Lyme ?
La maladie de Lyme est connue de très longue date et rien ne permet d’affirmer avec certitude que l’infection progresse encore. C’est une maladie qui est répandue dans le monde entier, touchant tous les continents sans exception. L’Europe et les États-Unis sont les zones géographiques les plus concernées, et plus particulièrement l’Alsace où nous sommes réellement en zone endémique avec des taux d’infestation très importants à cause des spécificités climatiques.
Pourtant certains parlent de crise sanitaire majeure, d’autres – dont des médecins généralistes – ignorent la maladie dans leur diagnostic.
Il y a plusieurs années, grâce au concours de la plupart des médecins du Sundgau, nous avons pu établir la prévalence et l’incidence réelle de cette maladie, et fixer un chiffre de 200 nouveaux cas certains pour 100 000 habitants. À l’époque, ce chiffre a été jugé largement excessif. Heureusement qu’une étude régionale a permis, quelques années plus tard, de le confirmer. Ceci prouve que la plupart des médecins connaissent bien la maladie, autant sur le plan diagnostic que sur le plan de la prise en charge thérapeutique.
Ce fort taux de contamination explique également le taux très élevé des personnes qui ont une sérologie positive : 17 % par exemple dans le Sud de l’Alsace avec bien entendu une disparité importante entre les populations rurales et citadines. Mais 90 % au moins de ces patients « séropositifs » ne sont plus malades.
Pour mieux comprendre, je cite toujours en exemple la varicelle ou la rougeole : 90 % des personnes ont une sérologie positive, mais aucun n’est atteint par la maladie. Ceci peut s’extrapoler à des dizaines de maladies infectieuses. Ce qui amène deux écueils. D’une part, le risque de sous-évaluer l’infection par la borrelia et méconnaître des affections neurologiques, articulaires, cardiaques ou dermatologiques. D’autre part, le risque de voir la maladie de Lyme partout, alors que l’atteinte neurologique ou articulaire peut être d’une tout autre nature chez un patient qui a encore les anticorps d’une ancienne maladie de Lyme guérie. Et là, on va tarder à diagnostiquer la vraie maladie en cause, comme une polyarthrite rhumatoïde. Si longtemps la maladie a été sous-diagnostiquée avec des retards thérapeutiques et des possibilités de séquelles cliniques définitives, de nos jours elle est largement surdiagnostiquée.
Dans le cas de la prise en charge de la maladie, vous dénoncez les dérives chez certains de vos confrères…
Parce que certains praticiens soignent des sérologies, non pas des malades ! Les stades précoces de la maladie ne justifient pas la réalisation d’une sérologie car elle reste négative une fois sur deux et il faudra de toute manière traiter le patient. En revanche, au cours des stades plus avancés de la maladie, par exemple neurologiques ou articulaires, la prise de sang devient essentielle, mais avec une seule sérologie à réaliser par un test Elisa, confirmé par un test Western Blot. Il ne sert strictement à rien de recontrôler ces prises de sang car l’évolution des concentrations des anticorps ne préjuge en rien de la guérison, ni de la non-guérison de l’infection.
Ensuite, les traitements à base d’antibiotiques sont très efficaces, validés scientifiquement. Quand ils sont administrés selon les recommandations, ils permettent une guérison systématique. J’ai eu l’occasion de traiter plusieurs milliers de malades atteints de Lyme et aucun n’a vu de façon objective son état s’aggraver après le traitement. Donc ils ont par conséquent tous guéri de l’infection, même si quelques-uns ont gardé quelques séquelles du fait d’une mise en route trop tardive de l’antibiothérapie…
Pourtant des malades qui se tournent vers des traitements « alternatifs » soulignent les difficultés de guérir de cette maladie…
Environ 30 % des patients, même correctement traités, continuent de se plaindre. Une partie d’entre eux ressent des symptômes du fait de mécanismes immunologiques complexes qui disparaîtront au fil des semaines. Mais il ne s’agit en aucun cas de borrelia vivante qui résisterait au traitement et qui coloniserait de façon chronique nos tissus. Des patients continuent à ressentir des symptômes du fait d’une angoisse et d’une « composante psychologique », générée par la peur d’une maladie infectieuse chronique incurable.
Ce phénomène n’est pas spécifique à la maladie de Lyme mais concerne de nombreuses maladies chroniques susceptibles d’engendrer des syndromes musculo-squelettiques. Il ne s’agit pas d’échec thérapeutique de l’antibiothérapie. Réutiliser les antibiotiques comme je le vois faire par certains confrères est totalement inutile. Les études ont bien prouvé de très longue date que ça ne fait qu’aggraver la situation.
Vous affirmez que les traitements alternatifs liés aux tests du laboratoire Schaller sont inutiles ?
Écoutez, avec cette histoire nous sommes devenus la risée de la France entière, en tout cas des spécialistes de zones non endémiques ! Nous sommes régulièrement, lors des congrès, apostrophés par les infectiologues de la France entière qui nous interpellent par rapport à cette imposture, dont nous ne sommes pas encore arrivés à nous débarrasser et qui n’a pour objectif que de rendre des gens dénués de toute infection malades ! Ce laboratoire recherche les personnes les plus vulnérables sur le plan psychologique, comme par exemple des dépressifs ou encore des fibromyalgiques.
Cette crédulité est mise à profit pour remettre des fausses sérologies, parfaitement négatives pour les tests scientifiquement établis. Le professeur Jaulhac, bactériologue de renom du centre hospitalier universitaire de Strasbourg, a prouvé depuis longtemps que la sérologie de ce laboratoire a été modifiée en ce qui concerne sa sensibilité pour que tous les résultats, ou presque, soient rendus positifs. Nous avons nous-même adressé du sang à ce laboratoire, de patients parfaitement sains ne se plaignant de rien et n’ayant jamais été au contact d’une tique, qui nous sont revenus positifs pour la maladie de Lyme, pour la quasi-totalité… L’unique objectif de ce rendu biologique erroné est la vente de produits « parallèles » tels des huiles essentielles, des modificateurs du pH urinaire, des décoctions de cactus et le fameux Tic-Tox qui n’a jamais fait preuve d’une quelconque efficacité et qui figure sur la liste des produits toxiques aux États-Unis ! [NDLR : FDA].
Il ne s’agit pas d’un naufrage intellectuel comme je le pensais il y a quelques années, mais d’une réelle malveillance orchestrée. Et j’assume mes propos. On crée une maladie inexistante chez un malade crédule qui souffre d’autre chose, en appuyant un diagnostic sur une sérologie trafiquée, en prétextant la nécessité de recourir à des produits non conventionnels après échec d’antibiothérapie qui était le plus souvent tout aussi inutile. Car le patient n’a jamais eu la maladie de Lyme.
Est-ce qu’il existe une chance de trouver un jour un vaccin contre la maladie de Lyme ?
Un même malade peut refaire la maladie de Lyme à plusieurs reprises et, en théorie, sans limite de nombre. Cette maladie entraîne une production d’anticorps qui ne protègent pas contre de nouvelles infections. C’est pour ces raisons que les vaccinations n’ont pas entraîné la protection escomptée et, du fait de la multitude des espèces et sous-espèces de borrelia, il y a peu de chance que des vaccins efficaces puissent être disponibles dans les années à venir.
---------------