Un espoir pour vaincre la cécité
Des essais cliniques sur des rétines artificielles ont permis à plusieurs patients de recouvrer partiellement la vue grâce à des micro-implants. Encourageant, même si les performances restent encore limitées.
Redonner en partie la vue à des non-voyants n'est plus une utopie. C'est désormais une réalité grâce aux « rétines artificielles ». Plusieurs essais cliniques sont en cours dans le monde utilisant différentes techniques de micro-implants. En France, depuis 2008, quatre patients ont été équipés d'un de ces dispositifs, l'Argus II, mis au point par la société américaine Second Sight Medical Products, en collaboration avec des laboratoires de recherche dont l'Institut de la vision à Paris. Dès 2011, ce sont quelques dizaines d'autres patients français qui pourraient bénéficier de ce système dans le cadre d'un nouveau développement clinique lancé par l'équipe. Ils seront recrutés au Centre de référence des maladies rares et au Centre d'investigation clinique de l'hôpital des Quinze-Vingts, selon des critères très sélectifs - profil médical, âge, proximité géographique, motivation. Seul un type de cécité est pour le moment concerné : celle provoquée par une rétinite ou rétinopathie pigmentaire qui affecte près de 40 000 personnes en France. Cette pathologie regroupe un ensemble de maladies génétiques où les cellules photoréceptrices de la rétine (cônes et bâtonnets) ne cessent de se dégrader, allant jusqu'à plonger le malade dans la cécité complète (voir le schéma p. 77). La rétine artificielle a pour mission de restaurer une part de cette fonction perdue. Et ça marche !
Pour mieux comprendre, direction l'Institut de la vision, grand cube de verre adossé à l'hôpital des Quinze-Vingts, dans le XIIe arrondissement de Paris, qui soufflera ses deux bougies en décembre. « A notre grande joie et surprise, les quatre non-voyants équipés de notre système à partir de 2008 sont aujourd'hui capables de l'utiliser pour se déplacer, reconnaître la position d'une porte, d'une fenêtre dans une pièce, de voir les barres blanches des passages piétons, explique non sans fierté le professeur José Alain Sahel, fondateur de l'Institut. Trois sur quatre peuvent lire des lettres et des mots. Deux lisent même de près les plus grosses lignes d'une échelle d'acuité visuelle standard ! Ces résultats vont au-delà de nos espérances pour un premier essai... »
Pour rappel, la rétine qui tapisse le fond de l'oeil est constituée d'un empilement de couches de cellules spécialisées (voir le schéma p. 77). La première capte la lumière (photorécepteurs), une deuxième traite le signal, une troisième (cellules ganglionnaires) le transmet au cerveau par le nerf optique sous forme d'impulsions électriques. En cas de rétinite pigmentaire, seule la première couche, photosensible, est altérée. Les autres demeurent fonctionnelles. Les stimuler via un micro-implant de silicium a été envisagé dès la fin des années 1980 mais il a fallu attendre le début des années 2000 pour que le concept soit validé chez l'homme par les équipes de Second Sight et de l'université de Californie du Sud. Depuis, plusieurs modèles ont été testés. « L'Argus II est composé d'une puce de 60 électrodes implantée au centre de la rétine, poursuit le Pr Sahel. Elle est connectée à un récepteur placé sur l'oeil qui reçoit des informations par ondes radio en provenance de lunettes, elles-mêmes connectées à un microprocesseur, relié à une caméra. Au début, l'oeil voit seulement des points lumineux, puis il apprend à les aligner. Les performances optimales sont atteintes plusieurs mois après l'intervention, le cerveau réapprenant à «voir». »
Si la puce de 60 électrodes permet de distinguer des lettres et la forme d'objets, elle est cependant encore insuffisante pour retrouver une vision précise. La lecture d'un texte entier devrait nécessiter, en effet, une puce de 600 électrodes au minimum (correspondant à une image de 25 x 25 pixels), d'après les travaux des chercheurs suisses Avinoam Safran et Marco Pelizzone. Et il faudrait jusqu'à 1000 électrodes pour reconnaître un visage. Mais multiplier les électrodes n'est pas chose simple, car plus elles sont rapprochées plus elles se parasitent. Serge Picaud, spécialiste de la question à l'Institut explique : « Lorsqu'une électrode classique (en pointe) envoie une impulsion électrique aux cellules cibles, elle stimule également les cellules voisines car le courant diffuse dans le tissu. Si on multiplie les électrodes, on augmente ces courants parasites et on brouille le signal. Notre défi est donc de créer des électrodes qui confinent le courant. En s' appuyant sur les travaux de l'université de Stanford (Californie), on teste par exemple des électrodes en puits pour ne stimuler que les cellules tombées dans ces puits. »
Serge Picaud cherche aussi à définir le meilleur matériau biocompatible possible. Car malheureusement la rétine peut réagir à l'implant de silicium - considéré comme étranger par l'organisme - en l'entourant d'un manchon de cellules isolantes, évolution problématique lorsque l'on veut transmettre des courants électriques. Il faut donc trouver un matériau capable de transmettre l'information au cerveau aussi bien que le silicium mais sans déclencher cette réaction. Une des pistes les plus prometteuses est à l'étude à l'institut, en collaboration avec l'équipe de Philippe Bergonzo, du CEA : des microélectrodes en diamant. Le diamant, composé d'atomes de carbone, est semi-conducteur et n'est pas rejeté par l'organisme. Les recherches sur l'animal ont commencé. Autre défi : « L'implant de Second Sight se place en position «épi-rétinienne», c'est-à-dire sur le nerf optique, poursuit Serge Picaud. Nous explorons une autre voie, une prothèse sous-rétinienne, implantée à la place de la couche de photorécepteurs. Elle stimule les couches intermédiaires de la rétine afin qu'elles jouent leur rôle de traitement du signal. Cette approche est déjà testée chez l'homme à l'Institut de recherche ophtalmologique de Tübingen (Allemagne). » Vu l'effervescence de la recherche, des micro-implants performants pourraient être au point d'ici à une dizaine d'années.
Comment recouvrer la vue
1 Rétine normale
Les photorécepteurs (cônes et bâtonnets) de la rétine possèdent des protéines photosensibles qui transforment la lumière en signal électrique. Ce signal excite les cellules intermédiaires (bipolaires, horizontales, amacrines) qui l'analysent (intensité, mouvement...) et le transmettent aux cellules ganglionnaires dont les axones forment le nerf optique.
A - Rétine artificielle technologique (aujourd'hui)
1/ Les images sont captées par une caméra intégrée aux lunettes
2/ Elles sont envoyées à un micro-ordinateur qui définit l'amplitude des courants devant être envoyés sur chaque électrode de la puce électronique implantée dans l'oeil.
3/ L'information retourne sur un émetteur inclus dans les lunettes
4/ Le message est émis par ondes radio à destination d'un récepteur placé sur l'oeil.
5/ Le récepteur transmet l'information à la puce implantée sur la rétine. Les micro-électrodes de la puce stimulent alors les cellules de la rétine qui sont connectées au cerveau par le nerf optique.
B - Rétine artificielle biologique (demain)
Les cônes malades ont perdu leur réactivité à la lumière. On injecte alors dans la rétine un virus contenant un ADN bactérien codant pour une protéine photosensible. Le noyau du cône intègre le nouvel ADN et synthétise la protéine, devenant de nouveau sensible à la lumière. Testé avec succès chez la souris et sur des rétines humaines « in vitro ».
Pour en savoir plus
http://www.quinze-vingts.fr, site de l'hôpital des Quinze-Vingts.
http://www.insitut-vision.org, le site de l'Institut de la vision. Ces deux sites apportent beaucoup d'informations sur les maladies de l'oeil, les traitements et les recherches ainsi que les possibilités de prises en charge.
Une rétine artificielle... biologique
Hormis les implants, une tout autre technique se développe contre la rétinite pigmentaire : la rétine artificielle « biologique ». En juin, une équipe de l'Institut Friedrich Miescher, à Bâle (Suisse), a publié un article en collaboration avec l'Institut de la vision qui pourrait bien révolutionner la lutte contre la cécité. L'étude a montré, in vivo chez l'animal et in vitro sur des cellules de rétine humaines, qu'il était possible de restaurer la fonction de la couche photoréceptrice de la rétine, par manipulation génétique ! « Nous avons découvert, en effet, que dans la rétinopathie pigmentaire, de nombreux photorécepteurs, les cônes (dédiés à la vision de jour), sont préservés mais non fonctionnels, explique Serge Picaud. C'est grâce à une nouvelle technique d'imagerie, l' optical coherence tomography, permettant de réaliser des coupes optiques de la rétine, in vivo, que les chercheurs du Centre d'investigation clinique ont pu en apporter la preuve chez l'homme de la survie. Les cônes sont bien vivants, munis de leur noyau, mais ils ont perdu leur sensibilité à la lumière. D'où l'idée de l'équipe suisse de réintroduire dans ces cônes une protéine bactérienne photosensible, afin que celle-ci leur permette à nouveau de transformer directement la lumière en courant électrique ». « Un ADN bactérien codant pour une protéine photosensible a été intégré dans les cônes de souris aveugles (voir le schéma), résume Serge Picaud. Et les cônes ont retrouvé une activité quasi normale. La rétine réagissant de nouveau à la lumière, au mouvement... ». Le chercheur trouve ce résultat tout simplement « fabuleux ».
L'Institut de la vision a reproduit l'expérience sur des rétines humaines post mortem en culture. Un plein succès ! Reste qu'avec cette technique on ne retrouvera pas la richesse des cônes normaux (un pigment au lieu d'une vingtaine) ni la vision en couleurs. Prochaine étape : vérifier que la protéine bactérienne ne déclenche pas une réaction inflammatoire majeure chez le primate. « Puis on préparera les essais cliniques chez l'homme. D'ici à trois ans, on l'espère. »
Source : http://www.sciencesetavenir.fr/